Un OTNI (Objet Théâtral Non Identifié)
« Ce qui est ordonné chez
l’homme, c’est l’enfant »
« Le moment de ma conscience est
révélé par le moment de mon
inconscience. »
« Ma solitude est faite, non de ce qui me
manque, mais de ce qui n’existe pas. »
A l’issue d’un long compagnonnage avec
l’œuvre de Roberto Juarroz,
l’acteur transmet la parole du poète,
avec en écho ses propres écrits,
au sein d’improvisations appuyées sur le
geste et
le matériau sonore et prolongées par
de fugitives images d’eau...
L’auteur de « l’eau et ses rêves »,
Gaston Bachelard n’est pas loin dans ce cheminement
qui se propose d’explorer le clair-obscur de
l’être.
« Ces aphorismes, ces voix,
extraits du seul livre édité d’Antonio Porchia,
Voix Abandonnées,
je les ai lues peu de temps après la
découverte de l’oeuvre de Roberto Juarroz,
Poésies Verticales.
Depuis sept années, ces deux auteurs et
philosophes argentins, qui furent amis,
inspirés l’un par l’autre, sont des
éclairages, des balises, des étapes, dans ma
recherche pour distinguer Voir et Regarder,
Entendre et Ecouter...
l’intérieur, l’extérieur, de
l’intérieur vers l’extérieur, de
l’extérieur vers l’intérieur...
Entre le haut et le bas de toute vie, l’un
n’étant pas, sans l’autre,
entre un concret enracinement et la
vacuité du ciel,
entre fulgurances et lentes
cohérences,
dans un monde qui tente d’asservir la langue, la vue,
l’audition et par delà nos vides, il existe une
vision du vide,
une écoute du silence avec cette
certitude : personne pour
coloniser cette vision, ce vide, cette écoute,
ce silence.
En ce qui me concerne,une invitation
à découvrir un espace entre ces deux
pensées sentinelles, à venir
voir, regarder, écouter, entendre,
une exploration entre écritures et
improvisations, avec ces paroles
poétiques et philosophiques
qui m’ont traversées,
avec ma voix, mon corps, des sons et tous leurs silences,
la lumière et ses ombres, des images......des visions
éphémères, des résonances. »
Scénographie, conception
lumière : Alberto Burnichon, Jean-marc Richon
Manipulation lumière et vidéo : Alberto
Burnichon
Conception vidéo, voix, corps, sons, actions
poétiques : Jean-marc Richon
LE POEME IMPROMPTU : HOMME-MAGE VERTICAL
Jean Marc Richon et la poésie d’action
Une présence insaisissable
Il y a des messages dont le destin est de se perdre…Au fond de la recherche essentielle de la poésie moderne il y a l’idée qu’en cette dimension du langage et de l’homme réside la seule possibilité que quelque chose soit : les messages perdus inventent toujours celui qui doit les trouver. (R.Juarroz).
Ce que ce texte anticipait, c’était la rencontre puis le long compagnonnage, de sept ans, de Jean Marc Richon, figure exemplaire de la poésie d’action, avec deux poètes majeurs du 20ème siècle, les auteurs argentins Roberto Juarroz et Antonio Porchia. Pour le spectacle de l’Homme -Mage Vertical donné au Ring les 9 et 10 mai 2012.
Le choc des images verbales, avec la découverte des « Poésies Verticales » et des vers libres de l’un, puis de « Voces » et des aphorismes de l’autre, ne pouvait qu’encourager et renforcer une démarche artistique tournée vers l’écriture corporelle.et l’improvisation. Pour offrir un nouvel espace à l’écriture poétique, et faire de la métaphore non plus l’illustration de la simple apparence des choses, mais la mise en perspective de la profondeur du monde. L’image que crée le poète et à sa suite l’acteur, qu’elle reste purement verbale ou devienne action, ouvre ainsi l’accès à la présence, conçue ici comme une instance évanescente, puisqu’elle se manifeste sur fond d’absence.
La fugacité de cet équilibre entre présence et disparition, Jean Marc Richon a choisi, pour l’incarner, le chatoiement liquide de l’eau, qui rythme le temps et l’espace de l’improvisation. Le choix inaugural de l’acteur c’est donc la métaphore de « l’eau des rêves » qui donne à voir et à entendre la profondeur verticale du réel déclinée par le poème.
Trame du spectacle, trouvaille inspirée de l’acteur, l’eau façonne le temps, tombant goutte à goutte des « horloges naturelles », dans la pulsation irrégulière d’un ensemble de clepsydres installées dans l’obscurité d’un lieu invisible d’où les chocs liquides annoncent l’apparition aléatoire des évènements de l’improvisation. Elle creuse aussi l’espace et sa profondeur. Les reflets des eaux dormantes du canal du Midi sur les vidéos projetées en continu sur les murs de la salle, doublent le monde des choses et des rêves, ouvrant ainsi les portes des aventures de l’inconscient et annonçant la mort des âmes puisque, pour Héraclite, leur devenir est eau.
La mort exhibe son masque dans le rituel qui soutient l’improvisation de Jean Marc. Son entrée dans un cercle de lumière rouge, initie une danse sauvage rythmée par les percussions sur le sol de deux longs bâtons tenus à bout de bras. Errance sonore et folie d’un chaman ressuscitant des rites anciens ou inventant des célébrations nouvelles.
…/Sonder les « Poésies Verticales » à l’image des eaux dormantes, ou encore rechercher, à la poursuite du vertical, « la situation de l’être sur l’échelle des choses » comme le dit R.Juarroz, c’est ici l’occasion, toujours périlleuse pour l’acteur, de convoquer les évènements d’un passé réel ou rêvé, en sollicitant les éléments de la matière : en plus de l’eau, la terre, l’air et le feu. Cailloux placés en équilibre instable, bois et tubes résonnants qui prennent le relais de la voix chantante ou psalmodiante, éclat des lumières jaillissantes qui viennent délimiter sur le mur du Ring la porte fermée, refusant de s’ouvrir vers un univers resté inaccessible aux mots du poète et aux pressions du corps de l’acteur.
Mais, pour terminer, ce qui donne toute sa portée métaphysique à la métaphore théâtrale, c’est l’image splendide des flèches, jouant le drame de l’être jeté dans le monde et livré à l’angoisse. Flèches aux empennages multicolores lancées vers un cercle de lumière sans point de départ défini, pour un destin hors de toute origine temporelle ou spatiale. Et y retrouver la tragédie existentielle de l’Homme Mage Vertical.
Il y a des flèches qui se repentent en vol / et rentrent leur pointe, / elles s’approchent de la cible/ et ne font que la toucher.
Beaucoup comprennent tard/que le destin est de voler/ et non de se ficher
Les cibles sont des leurres / qui trompent les flèches / autant que l’arc et l’archer
Plus que de viser quelque chose,/la clé est de tout viser ./ Le pari de la vie / est à tous les numéros.
Robert Juarroz - Treizième poésie verticale.
Dans le Poème Impromptu, l’action fait exploser le langage du poème et révèle, derrière les mots, la présence insaisissable des choses. La magie de l’improvisation de Jean Marc Richon, y donne à entendre, dans l’oralité, la musique du souffle de l’homme, à percevoir aussi la solitude de son inconsolable singularité, celle de l’être des Poésies Verticales.
Bernard Astié