21
février 2009
Intermedia 28
Adam Lubroth / Wade Matthews / Julio
Camarena
présentent
Pedroneras, un festin de sons et d'images
coproduction
IREA-Institut Cervantes de Toulouse
INFLUX#1
15
octobre 2009
1/ Alessandra
Rombola (flûtes)
2/
Duo Kormak : Didier Lasserre (batterie) Ly Thanh Tien
(danse poésie)
©
Guillaume Blaise
vendredi
16 octobre 2009
Phil Minton (voix) Simon Fell
(contrebasse)
©
Guillaume Blaise
Table
ronde du 16 octobre 2009 au Ring
Introduction par Bernard Astié
Même quand on est familier des aventures artistiques innovantes,
comment parler de l’improvisation
musicale alors qu’on
n’est pas soi-même musicien ou musicologue, mais seulement
spectateur ?
Peut être en postulant que ce type
de spectacle peut conduire à une prise de conscience individuelle
(ou collective) de ses auditeurs et de ses acteurs, et se placer
en conséquence dans la position du
spectateur émancipé (au sens du philosophe Jacques Rancière, in
« Le Spectateur Emancipé »).
Que faut-il envisager par
là ? Que l’émancipation commence quand on remet en question
l’opposition
entre regarder (ou écouter) et agir, quand on comprend que les
évidences qui organisent les rapports
du dire (ou de l’écouter)
et du faire, appartiennent elles mêmes à la structure de la
domination et de la sujétion.
Pour ajouter quelques mots sur les
liens entre art critique et politique, tels qu’ils inspirent
l’action
artistique de l’IREA, dans la perspective annoncée ci-dessus, où
l’esthétique est le fondement
du politique,il faut revenir aux caractéristiques du
« partage du sensible » que donne le philosophe.
Si on définit, à sa manière, la politique comme une pratique qui
rompt l’évidence sensible de l’ordre
« naturel » ,ou encore qui défait la distribution
des espaces, du temps, des compétences et des
incompétences,alors l’art tel que nous le comprenons a pour
fonction d’ouvrir une brèche,
de redistribuer les cartes,de faire entendre ce qui était caché ou
tu, de mettre en œuvre le
dissentiment, attitude radicalement opposée à l’adaptation
mimétique ou éthique des productions
artistiques élaborées à
des fins sociales sinon politiques ou même électorales.
De ce point de vue,
l’improvisation est un puissant levier dans l’effort de
renouvellement,
tel qu’il se manifeste, depuis
la
deuxième moitié du 20ème siècle, dans le discours musical.
Cette tendance prend corps, dans l’espace musical en particulier,
dans le renversement
des rapports hiérarchiques installés depuis longtemps par la
prédominance de l’écriture
sur l’oralité dans les
musiques dites savantes.
Pratique artistique qui trouve ses
racines dans les traditions orales les plus lointaines,
l’improvisation procède à une véritable refondation, qui embrasse
tout le champ musical,
partant de la périphérie (l’instrument et le corps) pour aller au
centre (la langue).
Elle garde donc la trace de son origine corporelle, qui lui est
constitutive.
L’esprit y est informé par le corps,
l’improvisateur
apprivoise pas à pas sa propre parole.
L’écoute constitue ainsi un maître
mot dans ce processus.
Ecouter c’est être tendu
vers un sens possible, non immédiatement accessible mais présent
au-delà du son ; c’est aussi être tendu vers un
accès à soi, et donc guetter cette présence
dans un temps qui n’est
plus le temps physique, mais un temps sonore qui se creuse, s’élargit, se ramifie.
La mémoire individuelle
joue ici un rôle important, mais les souvenirs provenant d’une
mémoire
profonde et d’un
inconscient partagé entre races,
langages, pays ou époques,
peuvent être plus déterminants dans la constitution d’un langage
non idiomatique.
Le témoignage d’improvisateurs
musiciens, danseurs ou performeurs est un outil essentiel
pour mettre en lumière cette pratique artistique et la faire
partager au plus grand nombre.
C’est dans cette perspective, et avec les moyens que lui offrent
l’expérience et l’histoire
de ses membres, que l’IREA a depuis quelques années entrepris à
Toulouse une
démarche de création, de
diffusion et de réflexion autour de l’improvisation dite
« libre »,
soutenue en cela par le
Théâtre 2 l’Acte.
Le festival Influx #1 est une
première étape dans cette démarche !
Table ronde du 16 octobre
2009 au Ring
transcrite par
Dominique Regef, texte publié dans la revue PASTEL n°78
L’association IREA - Improvisation, Recherche et Echanges
Artistiques – a organisé à
l'automne 2009 une
table ronde dans un lieu symbolique, la salle du Ring à Toulouse,
où se pratiquent
tous les samedis des sessions d’improvisation qui réunissent
danseurs,
musiciens,
comédiens, littérateurs, poètes…
Histoire commune et ancienne qui
pose un regard critique sur la société, considérant
qu’il n’y a pas de
scission nette entre art et politique, que l’esthétique est un
fondement de la
politique, celle-ci devant favoriser l’émancipation du spectateur
et
du citoyen.
Au centre de ces questionnements,
la pratique de l’improvisation résiste, par définition,
aux diktats et
classifications arbitraires du marché, en posant la question de la
liberté
et de la
responsabilité dans l’art, dans l’échange, dans la vie sociale.
Mais d’abord, qu’est-ce que
l’improvisation
C’est avant tout la remise en
cause du primat de l’écriture, qui a labouré toute la
musique savante des
siècles derniers.
C’est aussi la destruction des
rapports hiérarchiques qui peuvent exister entre
l’instrumentiste,
le compositeur et l’auditeur.
C’est enfin l’envie d’ouvrir
d’autres terrains, de revenir à une forme musicale
qui n’est pas
nouvelle, puisque l’improvisation relève de l’oralité,
c’est-à-dire
du fonctionnement
des musiques non écrites et des traditions orales, l’écriture de
la musique étant au
départ un moyen essentiellement mnémotechnique, qui s’est
imposée finalement
comme moyen unique pour concevoir la musique.
L’improvisation retrouve
donc
l’oralité, après avoir parcouru un certain nombre
d’idiomes musicaux :
flamenco, musique
baroque, musique indienne, etc… le dernier avatar de cette
pratique
étant bien sûr le
jazz. Dernière manifestation de cet état d’esprit, le free-jazz
est
lié à des
mouvements sociaux et poétiques apparus aux Etats-Unis vers le
milieu des
années 60, puis
relayés par des musiciens européens, et ce n’est pas un hasard
si cela a coïncidé
avec l’émergence de mouvements analogues et profonds en
Europe de l’ouest
dans les années 1965 - 68. Des formations de musique improvisée
sont apparues en
Angleterre, en Hollande, en Allemagne, et en France avec le début
du free-jazz, les
festivals de Châteauvallon, puis Uzeste…
Le lien entre ce renouveau artistique
et cette remise en cause des relations sociales
est peut-être moins évident
aujourd’hui.
Alors, pourquoi fait-on toujours et encore de
l’improvisation ?
En quoi cette
activité engage-t-elle l’artiste ? Parmi les nombreux
participants à
cette rencontre,
qui ont témoigné de l’intérêt passionné suscité par ce sujet
toujours
en friche, Michel
Doneda, saxophoniste soprano, et Michel Raji, danseur –
chorégraphe.
Deux
improvisateurs, partenaires de longue date, arpenteurs du monde,
de toutes les
cultures, de toutes
les disciplines,de tous les possibles.
Deux approches
convergentes, avec un constant souci de continuité entre leur
pratique
artistique et leur
posture dans la société, mais aussi des clivages dans la prise en
compte de certaines
priorités.
Un jour, passant rue des Blanchers
à Toulouse, j’entends, s’échappant d’une fenêtre
ouverte au dernier
étage d’un immeuble, les sons entremêlés d’un sax et d’une
clarinette
en ardente
discussion.
J’avais ma vielle
avec moi, donc je monte, j’entre, et tout naturellement nous nous
mettons à jouer
ensemble. C’est ainsi que je fis connaissance de Michel Doneda et
Didier Masmalet,
compères de l’association Hic et Nunc. Toute la magie de
l’improvisation
tient là, dans
cette disponibilité à l’imprévu. Métaphore de la vie brute,
intense,
fugace,
l’improvisation est aussi la naissance de la musique, sa nécessité
première.
Pour Michel Doneda, autant de
définitions de l’improvisation que d’improvisateurs,
tant le tiroir
désigné par ce mot est vaste. La particularité de cet acte,
c’est que chacun a
sa façon de le vivre, sans se dire « je fais de
l’improvisation »,
sans se penser
improvisateur même. Il s’agit d’une relation extrêmement
personnelle et
intime avec le son.
Extraits.
« Je viens d’un milieu
familial où la musique n’existe absolument pas.
Rien ne me
prédestine à faire de la musique, et c'est par un hasard total
qu’un jour
quelqu’un me dit : « Veux-tu jouer de la
clarinette ? »… je dis oui.
Je ne sais pas ce
qu’est une clarinette, je ne sais pas pourquoi je dis oui.
Il m’amène dans une
maison et - c’est très symbolique peut-être - c’est exactement
la maison où je
suis né quatorze ans plus tôt, à Brive-la-Gaillarde ! Et dans
cette
maison où je suis
né, je n’avais jamais remarqué, jamais entendu alors qu’il y avait
de la musique,
puisque c’était là qu’était l’harmonie municipale ! Sûrement
étais-je
préoccupé par
d’autres choses… et j’étais préoccupé par d’autres choses pendant
mon
enfance. En tout
cas c’était là. Et mon copain dit : « Voilà, il veut
jouer de la
clarinette ».
Alors un type
dit : « Ok, je vais chercher une clarinette ». Il
revient avec une boîte
et dit :
« Il n’y a pas de clarinette, mais juste un saxophone ».
Je ne savais pas plus
ce qu’était un
saxophone. Il installe tout, m’explique le bec, l’anche :
« Tu rentres
chez toi, tu souffles comme ça, et tu reviens la semaine
prochaine,
et je te montre
comment ça marche ».
Je suis rentré chez
moi, j’ai ouvert ce « truc », j’ai fait un son, et ce
son-là
je m’en souviens
encore ! Cela m’a… réveillé, et éveillé, je ne sais pas
comment dire.
Finalement, avec
tout mon trajet et l’intérêt que je porte maintenant pour cette
pratique
sur le plan social,
esthétique ou politique, ce premier son est ma seule référence,
et chaque fois que
j’improvise j’ai la sensation que le premier son que je vais
faire…
c’est ce premier
son !
J’ai peut-être une
chance d’avoir cette fraîcheur, et de ne pas me poser la question
plus avant de
savoir si je peux mettre en forme mon improvisation, si je dois la
conceptualiser
plus.
Non, je reviens
toujours à ma propre racine, à mon propre fondement : ce
premier son
que j’ai fait.
C’est ce qu’on
nomme l’écoute, et je me suis découvert « écoutant »,
alors que je
n’avais jamais
entendu la musique qui était là, dans cette maison où je suis
né !
Pourtant une
harmonie qui répète, ça fait du bruit !
Elle n’avait jamais existé, n’était jamais parvenue jusqu’à moi.
Donc maintenant,
m’intéressant au phénomène de l’écoute, je pense que c’est un acte
totalement
culturel, qui n’a absolument rien de naturel ; je pense qu’on
écoute
que ce que l’on
peut, ce que l’on est prêt à écouter. Cela veut dire qu’il y a
beaucoup de choses
qu’on n’entend pas, et je crois que c’est la même chose pour le
regard.
J’ai eu une
expérience extrêmement intéressante en Afrique en 1993.
Je voyageais sur le
fleuve Ogowé pour rencontrer des musiciens dans les villages.
Après plusieurs
déboires, j’ai réussi à passer du temps dans une communauté de
pygmées Atékés, et
le premier jour j’ai joué avec eux. Je croyais que je
jouais avec eux,
et à la fin de la
première journée, j’avais une sensation extrêmement bizarre ;
ils regardaient mon
instrument, ils touchaient mon instrument, et ce n’est que
le second jour que
je me suis dit qu’ils n’entendaient même pas la matière physique
de mon son ;
la vibration de l’air n’existait pas pour eux. Alors j’ai essayé
de souffler dans
leurs oreilles, et je voyais qu’il n’y avait aucune réaction…
cela n’existait
pas !
En étudiant un peu le comportement de la société, j’ai compris
qu’en Afrique on n’écoute
pas la musique. La musique est une langue. Ils parlent.
On danse ou on
joue : c’est un langage. Par exemple si vous faites
l’expérience
d’aller dans un
café à l’étranger, vous écoutez le bruit, les conversations.
En France, si
quelqu’un entre et dit : « Je voudrais un
demi », automatiquement cela
vous pénètre. Si
c’est un chinois qui parle, cela ne change pas de la rumeur
ambiante.
Cette question de l’écoute va donc extrêmement loin, car cela veut
dire qu’il y a
peut-être des
choses ici… des univers parallèles, dont parlent les physiciens en
physique quantique.
Cela veut dire que s’il n’y a pas une reconnaissance de la langue,
cela n’existe pas.
La même expérience a été faite avec une tribu en Amazonie où on a
amené la télévision
avec un satellite qui a diffusé des images. Les gens ont vu
l’objet,
n’ont jamais vu les
images.
Pour en finir avec
les Pygmées, je n’avais pas l’intention de jouer leur musique,
je ne faisais pas
un stage « devenez Pygmée en une semaine » ! Par
contre,
ils ont commencé à
identifier ma personne : si je faisais tel type de son,
c’était moi qui
disais quelque chose. Alors je me suis mis à jouer avec eux
avec les éléments
les plus simples qu’ils comprenaient, et puis de temps en temps
je m’amusais à
faire des choses qu’ils ne comprenaient pas du tout…
d’ailleurs moi je
ne comprenais pas du tout ce qu’ils faisaient ! Nous étions
quand même
à égalité, nous
avions une sorte de socle de l’écoute commun, mais c’était de la
langue,
j’allais dire
presque de la signification. Donc il m’a semblé que l’un des
éléments
critiques très
forts que porte notre pratique, c’est celle d’interroger l’écoute,
vraiment, par quoi
elle est faite, comment elle est conditionnée ».
L’écoute est donc
une question de codes. On est ouvert ou fermé, comme les
ordinateurs
classiques qui
fonctionnent sur le système binaire : zéro ou un, oui ou non.
Cependant la
recherche s’oriente maintenant vers l’ordinateur quantique, qui
répondra
en termes de
probabilités. Il n’y a donc pas que l’improvisation où l’on se
pose ce type
de question.
L’écoute véritable dépasse ce qui est « pré-écrit », ce
qui cloisonne,
ce qui est dicté
par la coutume ou la « tendance » dominante, et nous
amène
à relativiser nos
réflexes et nos crispations identitaires, sociales, culturelles.
L’écoute est un
processus, ne se limite pas à un « j’aime, j’aime pas »,
ou :
« c’est bon,
c’est mauvais ». Le modèle occidental de consommation nous a
habitués
à ce dualisme, en
nous sommant de choisir, de classer, de désigner des vainqueurs.
Là encore il
convient de déplacer le point de vue.
« Quand on séjourne au Japon,
on réalise que les gens ne disent jamais non ;
vous posez une
question : c’est toujours oui ! C’est très spécial, et
finalement
vous comprenez
quand même qu’il y a du non, puisque leurs actions vont contre
ce que vous avez
dit. Un jour j’ai demandé à quelqu’un :
« Pourquoi
vous ne dites pas non ? » - « Parce que quand vous
regardez une montagne,
il y a une face qui
est éclairée et l’autre qui est sombre ! ». Donc, dans
le oui
il y a le non, dans
le non il y a le oui. Effectivement notre système binaire
fait qu’en disant
une chose on évacue l’autre - et c’est vraiment notre écriture -
alors que dans leur
pensée, il y a toujours une chose, et puis l’autre face de cette
chose-là.
Ainsi leur musique,
dans la tradition, donne autant de place au silence qu’au son.
Ils retrouvent cela
partout. Ils ont une pensée extrêmement différente, et je me suis
demandé si la
binarité n’a pas été déterminée par le langage écrit, construit
autour du oui –
non…
Donc, avec le
langage quantique, on va se retrouver dans une ère qui enfin va
retrouver
la multiplicité, on
pourra dire oui un jour et non le lendemain… quand vous changez
d’avis dans ce
monde, les gens ne sont pas d’accord ! La sensation ressentie
après une
improvisation est
très intéressante, car au-delà du jugement positif ou
négatif, on peut
simplement dire que
c’était ce que c’était. Si nous partageons des choses en
commun,
nous avons traversé
des états très différents selon les partenaires et suivant
les gens qui
écoutent : multiplicité ! Nous sommes déjà un ordinateur
quantique ! »
Signe de cette évolution : plutôt que d’écrire des partitions
jouées comme par un
ordinateur, souvent
les compositeurs écrivent pour des amis proches par leur
sensibilité
musicale. Les propositions sont alors négociées, et la synthèse
qui s’en
dégage est souvent
très intéressante : pas oui, pas non, mais entre les deux.
L’improvisation va
plus loin, car l’oralité détruit la notion d’auteur
(autoritas / autorité)
et le rapport à la création qui produit un objet que l’on doit
consommer ou
refuser, accepter ou pas, ce qui conduit à la notion de résultat.
Avec elle, on est
dans une expérience à laquelle tout le monde participe, non dans
un rapport d’une
autorité avec des admirateurs, mais dans un rapport total.
C’est la définition
même du rituel. On ne peut convier un public s’il n’est pas dans
l’expérience, parce
qu’il va analyser un projet et un produit. Donc il vaut mieux
qu’il soit préparé.
Dans les coutumes orales, les gens sont prêts à l’expérience,
à la cérémonie, ils
ne sont pas éduqués à être public. La démarche de Michel Raji
s’inscrit fortement
dans cette nécessité originelle.
« Le jour où
on a commencé à donner des stages d’improvisation, on a tué
l’oralité
comme processus de vie. Si après, on en fait
une production artistique, celui qui
est en scène est
l’hôte de toutes ces personnes qui sont assises, et il se doit
de leur faire
sentir quelque chose. Cela nécessite un minimum de connaissance ou
de
conscience de ce
qu’il est ou de ce qu’il vit, ou de « ce qu’il
met » dans
l’improvisation -
parce que l’improvisation ne se fait pas sans langage,
et n’existe pas
sans l’improvisateur. Il y a quelque chose de l’ordre de la
responsabilité de
ce qu’on donne à voir, ce qui n’est pas toujours assumé…
L’improvisation a
besoin d’être ritualisée. C’est un processus de communion,
qui vient
simplement parce que j’ai décidé de faire cela.
L’improvisation est
aussi de l’ordre de la temporalité, de l’instant qui se fait.
Le jour où j’ai
décidé d’entrer en danse de midi à minuit, tout pouvait se vivre,
tout pouvait
arriver, tout pouvait se sentir. C’est pourquoi il n’est pas
toujours
facile d’entrer
dans l’acte de l’improvisation, surtout en tant qu’acteur en scène
devant un public.
Jusqu’à quel point va-t-on amener le public dans une autre
temporalité que
celle qu’il a l’habitude de vivre ? Il faut donc aussi
préparer
le public à. Si
j’improvise, je ne le fais jamais à l’improviste ; c’est
quelque
chose qui est
préparé dans le sens où l’on se prépare à être prêt ».
La préparation et
l’attente sont primordiales : il s’agit de se vider
complètement,
de considérer son corps et son esprit comme
un tunnel qu’il faut dégager pour
pouvoir improviser.
C’est une hygiène de vie et une discipline rigoureuse, qui exigent
d’être toujours en
alerte, en mouvement, en recherche. La liberté dont elle se
réclame
n’est donc jamais
définitivement acquise.
Tout en étant la forme la plus ancienne de la musique,
l’improvisation en est aussi l’éclaireur.
Si l’on élargit le sujet au plan philosophique, on pourra méditer sur ce
propos
d’Albert Jacquard : « La liberté est sans rapport avec la
possibilité de faire n’importe quoi
pour la seule raison que l’on
a envie de le faire.
Cela, c’est le caprice. La liberté, c’est la possibilité
de tisser des liens
avec ceux qui nous entourent. Elle n’est donc pas un exercice
solitaire. La
célèbre formule : « Ta liberté s’arrête là où
commence celle de l’autre »
nous trompe. Il
faut être au moins deux pour être libre ».
A rapprocher de
l’aphorisme d’Oscar Wilde : « Un véritable artiste
ne se préoccupe
absolument pas du
public. Le public n’existe pas pour lui ».
Vous avez dit
quantique ?
9
novembre 2009
Joëlle
Léandre (contrebasse)